Monastère des dominicaines de Lourdes

La Pentecôte

Lecture

Quand le jour de la Pentecôte arriva, [les apôtres] étaient tous ensemble dans un même lieu. Tout à coup il vint du ciel un fracas comme [celui] d’un vent violent qui passe, et il remplit toute la maison où ils étaient assis. Ils virent apparaître des langues comme de feu qui se partagèrent et il s’en posa une sur chacun d’eux. Ils furent tous remplis d’Esprit Saint, et ils se mirent à parler en d’autres langues, selon que l’Esprit leur donnait de s’exprimer (Ac 2, 1-4).

Méditation

Le jour de la Pentecôte

Le jour de la fête juive de Sawouot — fête des semaines (Ex 34, 22) — est arrivé. C’est le 7 du mois de Sivan, à l’époque de la récolte du blé, quarante-neuf jours après la Pâque (sept semaines, Dt 16, 9), d’où le nom de Pentecôte : cinquantième jour (Lv 23, 16).
Comme tous les Juifs, les apôtres vivent de ce que les fêtes célèbrent symboliquement : après être sortis d’Egypte le jour de Pâques, ils marchent vers la Terre promise, vers la montagne de Sion, à travers le désert de la vie. En fêtant Pentecôte, ils refont l’expérience des Hébreux dans le désert : ils buttent sur une montagne (Ex 19, 2), l’Horeb, où la révélation d'une plénitude est donnée. Comme il est impossible, en effet, de marcher dans un désert sans repères, Dieu y fait don d’une boussole : les « Dix paroles  » de vie, la Torah. La direction est indiquée : la Terre, le mont Sion. Le Sinaï est donc le passage obligé pour accéder à la sainte montagne de Sion. Les Dix paroles sont données comme l’unique nécessaire pour vivre, à condition de les intégrer au plus profond de soi-même, pour qu’elles germent et fructifient.
Et symboliquement, la Bible nous dit que ce don doit germer en froment. A Pâques, en effet, on offrait la première gerbe de la moisson de l’orge (Lv 23, 10), ce qui est déjà une plénitude. Mais à Pentecôte, on récolte le froment (Ex 23, 14), qui est une céréale plus noble. C’est le signe du don d’une surabondance de vie. Le don de la Torah sur le Sinaï est l'acte d'une germination nouvelle ! Les Dix paroles sont données pour conduire de plénitude en plénitude, de grâce en grâce.
Tout l’enjeu de Pentecôte, c’est de savoir si le chemin issu de Pâques conduit ou non à la plénitude de vie qui est l'intégration de la Parole. A chaque fête de Pentecôte, une invitation nouvelle est faite à l'homme d’ajuster encore plus sa volonté, purifiée par la Parole de Dieu, avec la volonté divine. Car il y a véritablement froment — surabondance de vie — si la volonté humaine est en correspondance avec la volonté divine par un retournement de tout son être, par une Pâque personnelle. La vie devient alors une moisson de froment. Ce qui est demandé à l’homme, c'est de faire rejaillir les dix lumières qui lui sont données — les Dix paroles — en étincelles divines qui correspondent à la lumière de Dieu, parce que pleines d'amour. Tout le problème de l'homme est là.
Les apôtres ont vécu, cette année-là, une Pâque qui ne ressemblait pas aux Pâques précédentes ; ils entrent maintenant dans la fête de Pentecôte, sans savoir encore qu’elle prendra, elle aussi, une dimension inhabituelle.

D’une montagne à l’autre

Les dix étincelles de vie du décalogue se sont enracinées, de Pentecôte en Pentecôte, dans le cœur des apôtres, pour y germer. Mais Sawouot n’est pas un point d’orgue ; cette fête est tendue vers le monde nouveau qui doit en jaillir : le temps messianique. Jésus, pendant trois ans, a préparé les apôtres à y entrer. Lui, la Parole qui est Lumière, a résumé les Dix paroles en une seule parole : la charité qui résume toute la Loi, qui est la plénitude de la Loi. Il a ainsi fait cheminer ses apôtres vers la nouvelle Pentecôte, vers le don de l’Esprit qu’il leur promettait.
En ce jour de Pentecôte qui suit l’Ascension du Seigneur, les apôtres sont rassemblés dans la chambre haute où ils ont célébré la Cène avec le Seigneur, quelques semaines auparavant. Non sans raison, la tradition a placé ce lieu sur une « montagne » : le mont Sion. Sawouot, en effet, évoque une montagne : le Sinaï, et fait tendre vers une autre montagne : justement le mont Sion d’où sortira la Loi nouvelle (Is 2, 3). Les apôtres sont donc invités à passer d’une montagne à l’autre.
Et brusquement les signes qui se sont produits au Sinaï se reproduisent : le fracas d’un vent violent rappelle le tremblement de terre et le tonnerre (Ex 19, 16-25) ; et les langues de feu se posent sur les apôtres ne sont pas sans ressemblance avec le feu dans lequel le Seigneur était descendu pour donner les Dix paroles (ibid. 19, 18). Le Saint-Esprit qui descend sur les apôtres est la loi nouvelle : il répand la charité dans les cœurs (Rm 5, 5). Pentecôte, c’est la révélation de la personne de l’Esprit, qui est Charité, Don, Lumière.

Le don de l’Esprit

Du vent, du feu, des langues : l’action multiforme de l’Esprit est indiquée par ces symboles.
Le vent tout d’abord. Il est puissant et insaisissable ; d’où sa capacité à évoquer l’Esprit de Dieu. Dans la Bible hébraïque, la ruah — vent, esprit, souffle — est l’espace vital qui entoure l’homme, l’atmosphère. L’Esprit est bien un espace vital : celui d’où jaillit la miséricorde de Dieu. Il est à l’œuvre pour créer le monde messianique du salut, de la Résurrection, de la Création nouvelle. L’Esprit libère ceux qu’il touche de son souffle, car il est totalement libre, comme le vent qui souffle où il veut mais dont on ne sait ni d’où il vient ni où il va (Jn 3, 8).
Le jour de la Pentecôte, le vent violent qui ébranle la maison, semble allumer un feu qui se divise en langues. La « voix du Seigneur » [le tonnerre] que les Hébreux ont entendue sur le Sinaï, faisait, elle aussi, jaillir le feu : elle taillait des lames de feu [les éclairs]. Le souffle de l’Esprit transmet donc le feu de la Parole aux apôtres ; il leur rappelle tout ce que le Seigneur leur avait dit (Jn 14, 26) pour qu’ils puissent l’annoncer au monde entier, en enflammant le cœur de leurs auditeurs. Par la puissance de l’Esprit, la Parole est une lampe qui éclaire la route (Ps 118, 105) et qui réchauffe (Ps 147, 18). C’est pour allumer ce feu sur la terre que Jésus est venu (Lc 12, 49) : le feu de la charité (Ct 8, 6), le feu qui fait fondre la dureté des cœurs. Par la parole de la prédication, ce feu se propage ; l’Esprit embrase les cœurs de l’amour qui unit le Père et le Fils ; il les fait entrer dans la communion trinitaire. L’Esprit illumine aussi : par le don la charité, en effet, il fait entrer dans l’intelligence du Mystère de Dieu, que lui seul peut scruter (1 Co 2, 10-12). Ce feu de la Parole a été transmis à Dominique : il est significatif qu’on représente symboliquement le père des Prêcheurs par un chien portant une torche allumée dans la gueule.
Les flammes jaillies du feu qui apparaît dans la chambre haute, prennent la forme de langues. Alors qu’à Babel, Dieu avait brouillé les langues des hommes à cause de leur orgueil (Gn 11, 9), l’Esprit donne aux apôtres de parler d’autres langues (Ac 2, 8) ; il pourront ainsi annoncer la résurrection du Seigneur dans toutes les langues. Tous, en effet, “se mirent à parler en d’autres langues”. Et tous les Juifs de nationalités différentes qui se trouvaient là, reconnaissaient leur propre langage et s'étonnaient que des hommes ignorants et sans lettres eussent appris à parler, non pas une ou deux langues, mais toutes les langues sans exception. Dès lors que toutes les langues se faisaient entendre, il était évident que toutes les langues embrasseraient la foi . » La mission de l’Eglise est universelle.

L’enfantement de l’Eglise

Par l'Esprit Saint, le Fils a pris notre chair (Lc 1, 35) ; par la puissance de l'Esprit, il est ressuscité dans son corps glorifié (1 Co 15, 42). En ce matin de Pentecôte, l'Esprit Saint enfante son Corps mystique et manifeste l'Eglise au monde. Au fil des jours, il continue à l’enfanter par l’eucharistie. Car si l’Eglise fait l’eucharistie, l’eucharistie fait l’Eglise.
Par le corps et le sang du Fils de Dieu, dans son Corps vivant, l’Esprit nous est donné en une Pentecôte toujours renouvelée : le lieu où nous recevons l’Esprit, c’est la communion. Avec une condition toutefois : notre cœur doit être « tourné en haut », arraché au péché qui fait obstacle à l’action de l’Esprit (Rm 8, 5-8).
L'Eglise est désormais la manifestation de l'Esprit du Christ dans une communauté dont lui-même réalise la communion entre les membres. La visibilité de l’action de l’Esprit, ce n’est plus tant le don des langues communiqué aux apôtres, que la communion, la vie nouvelle. Ou plutôt, le don des langues est orienté vers cette communion ; sa fin est d’y conduire tous les hommes : les familles, les communautés ecclésiales, toutes les nations. Ouvrons nos cœurs à sa présence et à son action purifiante et vivifiante :

 

Viens, Esprit Saint, en nos cœurs
et envoie du haut du ciel
un rayon de ta lumière.

Viens en nous, père des pauvres,
viens, dispensateur des dons,
viens, lumière de nos cœurs.

Ô lumière bienheureuse,
viens remplir jusqu’à l’intime
le cœur de tous tes fidèles.

Lave ce qui est souillé,
baigne ce qui est aride,
guéris ce qui est blessé.

A tous ceux qui ont la foi
et qui en toi se confient
donne tes sept dons sacrés.
(Extrait de la séquence de Pentecôte)


Prière

Par l’intercession de Marie, Temple de l’Esprit Saint, prions pour tous les chrétiens. Qu’ils annoncent, par une vie de communion sous la mouvance de l’Esprit, la présence du Ressuscité parmi nous.

 

Contemplation

Réjouis-toi, Marie, comblée de grâce,
le Seigneur est avec toi,
tu es bénie entre toutes les femmes
et béni le fruit de ton sein,
Jésus,
- qui est ressuscité par la puissance de l’Esprit
- que l’Esprit fait reconnaître comme le Seigneur
- que l’Esprit révèle aux petits
- que l’Esprit donne d’annoncer dans toutes les langues
- que l’Esprit nous fait aimer
- dont l’Esprit assouplit et purifie les cœurs
- dont l’Esprit nous rappelle les paroles
- dont l’Esprit intériorise la présence dans l’Eglise
- dont l’Esprit fait grandir le Corps que forme l’Eglise
- dont l’Esprit met les membres en communion
Sainte Marie, Mère de Dieu,
prie pour nous, pauvres pécheurs,
maintenant et à l’heure de notre mort
AMEN.


Les « Dix paroles » sont habituellement appelées les « dix commandements », ce qui risque d’en voiler la portée.

Augustin, Tract. in Io. Epist., 2, 3.

 

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